FESTIVAL DU REGARD
ESPACE 2
MARIA ABDULLAEVA > LA NUIT EST TOMBÉE SUR MON PAYS, LA RUSSIE
Lorsque nous avons été invités à participer à l’exposition, la guerre venait de commencer. Je suis née en Russie, j’aime ce pays et il se trouve que le thème de l’exposition a fait écho à moi. L’expérience de la nuit. La nuit est l’inconnu. Le destin de la Russie dans l’inconnu, le destin de millions de personnes. Les filles et moi, Marusya et Nina, avons littéralement lutté à travers l'inconnu et la nuit pour prouver à tous notre force et notre liberté. Notre façon de résister, c'est l'auto-stop, l'adrénaline, le fait de surmonter la peur d’être violée et l’occasion de dire aux gens que les filles n’ont pas peur. C’est juste que nous, les jeunes, n’avons peur de rien, ou plutôt nous essayons de changer quelque chose, même si on ne sait pas si ça va marcher ou pas. Et bien sûr, nous avons un objectif : c’est d’aimer et d’être aimées. C’est d’être présentes au monde, ici et maintenant, et d’essayer de le changer pour le meilleur. Quand on voyage en auto-stop, il est important de se fixer un objectif afin de pouvoir couvrir les distances plus rapidement. Nous avions décidé d’arriver au lac Baïkal en partant de Moscou. J’ai juste pris la route et commencé le voyage et le travail. Nous avons eu de la chance avec la météo, de ne pas tomber malade, et de ne pas nous perdre dans les contrées sauvages de la Sibérie. Une fois arrivées au lac Baïkal, nous avons fait des tas de rencontres avec des inconnus, des chauffeurs, des amis, leurs maisons, des soirées où nous peignions des graffitis et faisions du bruit. Le lac Baïkal est un lieu de force pour tous les peuples du monde. C’est une source sacrée. Il nous a pris, il me semble. C’est comme un grand-père à qui je demande de nous aider tous. En faisant du stop, j’ai pris des photos en Polaroid pour figer l’âme de la réalité, puis je les ai envoyées en France pour rapprocher métaphysiquement mes deux foyers, Cergy et Moscou. Ainsi, à travers la nuit, j’ai parcouru 5 000 kilomètres avec des amis et conservé certains de mes meilleurs souvenirs ‘un pays libre, de la jeunesse et de la sainte nature.
Sélection
La nuit est tombée sur mon pays, la Russie 15.07.22 - 21:25 – 185 km # Russie - 2022
La nuit est tombée sur mon pays, la Russie 17.07.22 – 12:47 - 1412 km # Russie - 2022
La nuit est tombée sur mon pays, la Russie 30.07.22 – 14:41 – 5190 km # Russie - 2022
La nuit est tombée sur mon pays, la Russie 15.07.22 - 21:25 – 185 km # Russie - 2022
Commentaire ♥♥♥♥♥
JULIETTE AGNEL > TAHARQA ET LA NUIT
Peut-on imaginer ce que ressentaient les « Pharaons noirs » en 660 avant notre ère, quand se couchait le soleil et qu’une nuit sans lune, par temps clair, faisait émerger mille étoiles dans le ciel ? Étaient-ils admiratifs de ce spectacle ou, au contraire, craignaient-ils cette obscure clarté ? À l’invitation de Chantal Colleu-Dumond, directrice du Domaine de Chaumont-sur-Loire, Juliette Agnel s’est rendue au Soudan en 2019 à la recherche de l’Antique cité de Méroé connue pour ses nécropoles à pyramides à forte pente relativement bien conservées. Le site est inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2003. Cette cité a formé la capitale du royaume de Koush pendant plusieurs siècles. Le royaume Koush de Méroé, qui a donné son nom à l’île de Méroé, fait aujourd’hui partie du Soudan moderne, une région limitée par le Nil (de la rivière Atbara à Khartoum), la rivière Atbara et le Nil Bleu. Taharqa, le nom de sa série, fait référence au pharaon du même nom ayant régné de – 690 à – 665 dans cette région et connu pour ses valeureux combats. Il se fera enterrer dans une pyramide monumentale. Juliette Agnel, aidée par le récit de l’archéologue Charles Bonnet, a eu l’idée de faire la nuit sur cette cité enfouie car « toutes ces cités ont été construites selon la position des étoiles, notamment les tombeaux. Ils ont été conçus avec une porte donnant sur le Nil, puisque les Dieux voyagent sur ce fleuve. Tous ces lieux sont sacrés et j’avais envie de montrer les forces qui animent cet endroit. Voyager au Soudan, dans cette zone, c’est partir à la recherche de la trace de la disparition d’un peuple, à travers les tombeaux, les temples, les peintures rupestres, les sculptures… C’est aussi toucher du bout des doigts leur existence, c’est un voyage dans le temps… Sur place, il y a cette impression de monde enfoui, avec le désert qui tente d’engloutir les habitations, fait disparaitre, ou apparaître, les pyramides de Méroé, au loin comme un mirage. »
Sélection
Taharqa et la nuit # Cité de Méroé, Soudan - 2019
Taharqa et la nuit # Cité de Méroé, Soudan - 2019
Taharqa et la nuit # Cité de Méroé, Soudan - 2019
Taharqa et la nuit # Cité de Méroé, Soudan - 2019
Commentaire ♥♥♥♥♥
MERRY ALPERN > DIRTY WINDOWS
Un soir de 1993, la photographe Merry Alpern rend visite à un ami qui habite un loft dans le quartier de Wall Street à Manhattan. Il l’amène à l’arrière du bâtiment et lui montre, en face, une toute petite fenêtre qui est celle des toilettes d’un club de strip-tease clandestin. De là, ils peuvent observer le défilé de traders en costumes et de danseuses en strass, où s’échangent baisers, argent et drogues notamment… Sidérée, elle prend son appareil photo et pendant six mois, jusqu’à la fermeture du club, elle photographie les transactions qui s’opèrent derrière cette fenêtre sale, utilisant une pellicule noir et blanc haute sensibilité qui génère des images d’une grande puissance cinématographique. Avec ce travail l’artiste postule en 1994 pour une bourse de la National Endowment for the Arts mais à sa surprise, se trouve vilipendée, en même temps que les artistes Andres Serrano et Barbara De Geneviève, par les acteurs politiques conservateurs qui cherchent à discréditer la NEA. Aujourd’hui la série figure dans les collections permanentes américaines les plus prestigieuses dont the Whitney Museum of American Art, le San Francisco Museum of Modern Art, le MoMA / Museum of Modern Art, le National Museum of Women in the Arts et le Museum of Fine Arts, Houston. En 1996, quelques images font partie d’une exposition collective intitulée « By Night » et plus récemment, dans l’exposition collective « Public, Private, Secret » organisée à l’ICP Museum de New York, de juin 2016 à janvier 2017. En France, nous devons à Miranda Salt la découverte de ce travail de l’artiste américaine. En 2019, elle expose dans sa galerie du Xe arrondissement de Paris, une grande sélection de tirages d’époque de Merry Alpern qui, prise avant l’existence des réseaux sociaux, reste toujours pertinente par les questions qu’elle suscite sur l’exploitation sexuelle des femmes, la consommation, le pouvoir, la finance, la surveillance et la place du regard féminin.
Sélection
Dirty Windows [Fenêtres sales] # Manhattan, New York City, États-Unis - 1993
Dirty Windows [Fenêtres sales] # Manhattan, New York City, États-Unis - 1993
Dirty Windows [Fenêtres sales] # Manhattan, New York City, États-Unis - 1993
Dirty Windows [Fenêtres sales] # Manhattan, New York City, États-Unis - 1993
Commentaire ♥♥♥♥♥
EVGENIA ARBUGAEVA > HYPERBOREA
Hyperborea est un projet au long cours réalisé entre 2013 et 2020. La photographe russe a voyagé dans trois avant-postes de l’extrême Nord de la Russie où la nuit polaire dure plus d’un mois. Evgenia Arbugaeva a grandi dans la ville portuaire isolée de Tiksi, sur les côtes de la mer de Laptev, en Russie, et bien qu’elle soit maintenant basée à Londres, elle reste profondément attachée à son lieu de naissance. Son travail se situe souvent dans la tradition du réalisme magique, et son approche combine les styles documentaire et narratif pour créer une iconographie visuelle enracinée dans l’expérience réelle, mais résonnant avec la fable, le mythe et le romantisme. Hyperborea rassemble trois « chapitres » présentant des histoires visuelles de la vie quotidienne dans l’Arctique russe. Le premier, Weather Man (2013), documente la vie de Slava, un chef de station dévoué vivant dans la solitude dans un poste météorologique isolé du Grand Nord. En 2018-19, soutenue par une bourse de la National Geographic Society, Evgenia Arbugaeva est retournée dans la région, se rendant dans trois autres avant-postes de l’extrême nord de la Russie : un phare sur la péninsule isolée de Kanin, peuplé uniquement par les gardiens et leur chien ; Dikson, une ville fantôme aujourd’hui abandonnée suite à l’effondrement du bloc russe qui a donné lieu au formidable spectacle des aurores boréales lors de son séjour (rude au niveau de la température : -40° et nuit noire) ; et enfin la région extrême-orientale de Chukotka, où vit la communauté tchouktche, trois-cents âmes, qui conserve les traditions de ses ancêtres, vivant de la terre et de la mer avec la viande de morse et de baleine pour principale alimentation. Elle y trouvera des morses échoués par milliers que le réchauffement climatique a privé de banquise. Chaque série d’images révèle à la fois la fragilité et la résilience de la terre arctique et de ses habitants, éclairant les liens entre la nature, le ciel, la terre, la lumière, l’obscurité et montre les menaces que fait peser le changement environnemental. L’Arctique russe, avec ses nuits blanches infinies, ses effets lumineux aussi étranges que magiques, ses terres riches en minéraux et en ressources naturelles, est la manifestation vivante de ce royaume légendaire, ce qui ne fait qu’ajouter à son attrait pour la photographe : « J’ai toujours été fascinée par les premières cartes de l’Hyperborée et par la façon dont l’Arctique était vivant dans l’imagination des gens avant même qu’ils n’y mettent les pieds. Il continue d’être associé à la magie et au sublime. »
Sélection
Hyperborea, Weather Man [Homme météo], Slava # Péninsule de Kanin, Russie - 2014
Hyperborea, Weather Man [Homme météo] # Péninsule de Kanin, Russie - 2014
Hyperborea, Chukotka # Chukotka, Russie - 2019
Hyperborea, Weather Man [Homme météo], Slava # Péninsule de Kanin, Russie - 2014
Commentaire ♥♥♥♥♥
EVGEN BAVCAR > L’INACCESSIBLE ÉTOILE
Evgen Bavcar est aveugle depuis l’âge de 11 ans. La nuit, c’est son quotidien. Comment un aveugle peut-il photographier ? Ce n’est pas la bonne question à se poser, affirme sa galeriste Esther Woerdehoff : « Ce qu’il faut se demander c’est plutôt pourquoi Evgen Bavcar prend des photos ? Lui qui ne les a jamais vues… ». Qu’un non-voyant se serve de l’appareil destiné précisément à conserver des impressions visuelles relève tant du secret que du paradoxe. Mais une image ne montre-t-elle pas qu’une partie du réel ? S’y ajoute la dimension psychologique ou mieux, mystique. Les photographies d’Evgen Bavcar nous révèlent un monde intérieur riche et mystérieux. Elles dévoilent le paysage spirituel qu’habite cet intellectuel introverti et non-voyant toujours vêtu d’un chapeau noir, d’une cape et d’un foulard rouge vif. Sa technique photographique est simple : en extérieur, c’est souvent la nuit qu’il aime opérer. En intérieur, il obscurcit une pièce puis procède par tâtonnements pour établir la distance entre le modèle et l’appareil photo. Puis il fait circuler une source lumineuse devant l’objectif pendant un long temps de pose. Pour la sélection des images, c’est un assistant qui lui décrit ce qu’il y a sur le négatif tiré sur planche-contact. Mais bien des aspects de son travail restent impénétrables. Impossible de dissocier l’œuvre de son auteur, ses images tout comme lui, cultivent le mystère et l’étrangeté.
Sélection
Mains couvrant le corps # France - 1989
Katja # France - 1990
Rodin # France - 2002
Mains couvrant le corps # France - 1989
Commentaire ♥♥♥♥♥
RENÉ BURRI > BLACK OUT NEW YORK
Le 9 novembre 1965, toutes les lumières de New York s’éteignirent soudainement. Une panne d’électricité frappa vers 17h30 la ville de plusieurs millions d’habitants. Avec elle plongeaient dans l’obscurité une large part du Canada, et les États du Connecticut, du Massachusetts, le New Hampshire, Rhode Island, le Vermont, le New Jersey et l’État de New York. Au total, 25 millions de personnes furent touchées dans un rayon de plus de 200 000 km2. René Burri se trouvait alors dans le studio de son ami Elliott Erwitt, au coin de la 59e rue et de la 5e Avenue. Il était précisément en train de couper son film sur la Chine lorsque tout s’obscurcit brutalement. Burri comprit la chance de la situation. Equipé de son Leica et de huit rouleaux de pellicule, il se jeta dans un chaos nocturne, très ponctuellement éclairé, et photographia jusqu’à plus de minuit. La série de René Burri n’est pas, dans le sens strict, un reportage. C’est une méditation sur la lumière ou plutôt sur son absence. Une réflexion sur la vision – et ainsi sur la photographie elle-même. Burri conte une fable dans laquelle disparaît l’une des évidences pour les humains : la lumière. Une nuit durant, René Burri poursuivit les évènements, marchant lui-même avec un flash. La lumière parcimonieuse sculptait des formes, et René Burri, par son travail, s’en fit le témoin. Il développa les films à New York en novembre 1965, en fit des contacts, choisit des images isolées. Quelques-unes furent tirées en format 18×24 cm mais disparurent ensuite dans une boîte. Finalement, la série resta inédite. Ce n’est qu’en 2004, grâce à Hans-Michael Koetzle, le commissaire de la rétrospective « René Burri », qu’elle fut redécouverte dans les archives du photographe. Cette série ne sera présentée que deux fois, aux Rencontres d’Arles en 2009 et à Vevey en 2012. « Blackout New York » a fait l’objet d’un livre publié aux éditions Moser Verlag de Munich en 2009.
Sélection
New York Black Out [coupure électrique] # New York City, États-Unis - 1965
New York Black Out [coupure électrique] # New York City, États-Unis - 1965
New York Black Out [coupure électrique] # New York City, États-Unis - 1965
New York Black Out [coupure électrique] # New York City, États-Unis - 1965
Commentaire ♥♥♥♥♥